La Commission d'enquête du Front populaire

Introduction


Les Archives nationales d'outre-mer conservent dans le fonds du Ministère des Colonies l' importante documentation issue des travaux de la « Commission d'enquête dans les territoires d'Outre-mer » plus communément désignée par le nom de son directeur Henri Guernut. Voulue par le gouvernement du Front Populaire (loi du 30 janvier 1937 et décret modifié du 4 février 1937), elle devait faire le point sur « les besoins et les aspirations légitimes des populations habitant les colonies, les pays de protectorat et sous mandat ». Dans l'esprit de ses initiateurs, elle était destinée in fine à appuyer une campagne de réformes visant « le progrès intellectuel et le développement économique, politique et social des populations ».

Cette commission se composait de 37 hommes (parlementaires, universitaires, administrateurs, intellectuels, hommes d'église, responsables syndicaux, professions libérales) et d'une femme, la journaliste Andrée Viollis. Ils étaient répartis en trois sous-commissions correspondant aux grands domaines géographiques de l'empire colonial : Maroc et Tunisie ; colonies d'Amérique, Afrique continentale, Madagascar et Réunion ; Indochine, Indes françaises et colonies d'Océanie.

Dans un premier temps les commissaires sollicitèrent les organismes les plus divers : administrations, chambres de Commerce et d'Agriculture, syndicats, associations publiques ou privées, partis politiques, groupements d'opinion. Ils obtinrent en retour une grande masse d'informations : des rapports, statistiques et notes de synthèse émanant des autorités administratives en place, mais aussi des mémoires et des vœux exprimant les attentes des populations.

Ce premier ensemble documentaire s'est enrichi ensuite des réponses aux questionnaires très précis préparés par les membres de la Commission et correspondant à six thèmes de réflexion : l'alimentation, l'habitation, les migrations intérieures, les métis, l'industrie, et les Européens et assimilés.

Ces questionnaires assortis d'une note introductive étaient complétés sur place par des fonctionnaires français ou indigènes. Remplis avec le plus grand soin, ils sont richement illustrés de dessins, plans, photographies, schémas, cartes et croquis.

Enfin, une forme originale d'enquête fut celle de l'entretien, pratiquée par les fonctionnaires et administrateurs locaux à l'occasion de leurs visites sur le terrain.

Dans un second temps, des missions sur place devaient être assurées ponctuellement par les commissaires pour compléter la documentation recueillie à Paris. Cependant, André Gide, fut l'un des rares membre de commission, à se rendre sur le terrain. Il partit en Afrique occidentale en janvier 1938.

En effet, les crédits nécessaires au fonctionnement de la Commission ne furent pas reconduits par la loi de Finance du 31 décembre 1937. Ses membres démissionnèrent donc le 7 juillet 1938 après un an de travaux effectifs. Fruits de la volonté du gouvernement du Front Populaire de réorienter la politique coloniale française, les travaux de cette Commission, en contradiction avec certaines aspirations politiques du moment, ne furent suivis d'aucun effet. Les archives de la Commission Guernut représentent une source de renseignements originale et d'une richesse méconnue. Elles permettent l'approche d'une certaine réalité indigène, rarement présente dans les documents administratifs. Elles offrent également au chercheur plusieurs niveaux de lecture, selon qu'il exploite les résultats de l'enquête, qu'il s'intéresse aux principes intellectuels et méthodologiques qui ont sous-tendu les travaux de la Commission, ou encore qu’il interroge les mécanismes politiques et idéologiques qui l'ont mise en place.

A lire aux ANOM

BIB AOM //45233

Viollis, Andrée. Indochine S.O.S. Préface de Francis Jourdain. Paris : les Éditeurs français réunis, 1949.

Pour les autres ouvrages de Andrée Viollis, voir le fichier de la bibliothèque dans IREL, « Inventaires détaillés ».

BIB AOM TH848

Farge, Pierre. La commission d'enquête et de réformes dans les territoires d'outre-mer (dite Guernut) et le protectorat du Maroc (1936-1938), mémoire de maîtrise d'histoire, Université de Provence, Aix-en-Provence : [s. n.], 1995.

Henri Guernut :
(Lavaqueresse, Aisne - 2 novembre 1876 - Paris, 28 mai 1943) : député de l'Aisne de 1928 à 1936. Ministre de l'Éducation nationale dans le gouvernement Albert Sarraut (janvier à juin1936), il fut secrétaire général de la Ligue française des Droits de l'Homme (1912-1932), et participa activement à la création des Cahiers et de la Ligue internationale des Droits de l'Homme (1922).

Andrée Viollis :
Nom de plume de Françoise-Caroline Claudius Jacquet de La Verryère (Les Mées, Alpes-de-Haute-Provence, 9 décembre 1870 – Paris, 10 août 1950) : journaliste, reporter et femme de lettres, militante antifasciste, féministe et anticolonialiste, proche des milieux intellectuels communistes. Auteur entre autres livres de « Indochine S.O.S », Gallimard, 1935 (Préface de André Malraux).

André Gide :
(Paris, 22 novembre 1869 – 19 février 1951). Ecrivain français, co-fondateur de la Nouvelle Revue Française qui défendait une conception classique de la littérature (1908). Il fit plusieurs voyages en Afrique. C'est au cours de son séjour au Congo en 1927 qu'il découvrit la réalité coloniale et en dénonça les abus dans un texte publié à son retour. Il reçut le prix Nobel de littérature en 1947.